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Lee Ufan et Claude Viallat : des tendances analogues

Jul 20, 2023

Les deux artistes réfléchissent à la manière dont leurs réalités politiques distinctes, en Asie et en Europe, les ont conduits dans un voyage qui a vu leurs chemins converger de manière inattendue.

En 1971, l'artiste coréen Lee Ufan et l'artiste français Claude Viallat se rencontrent pour la première fois. Nés la même année, ils ont tous deux récemment joué un rôle central dans la génération de mouvements artistiques (respectivement Mono-ha et Supports/Surfaces) qui auront un impact majeur sur l'orientation de l'art en Asie et en Europe. Lors de leur rencontre, les deux ont été surpris par les similitudes entre leurs approches respectives de la création artistique, englobant un rejet radical des techniques traditionnelles et une nouvelle approche de la matérialité.

Ce mois-ci, le couple est artistiquement réuni dans une exposition intitulée Encounter à la Pace Gallery London, organisée par Alfred Pacquement. C'est la première fois que le duo expose ensemble, l'exposition offre l'occasion d'examiner les façons dont des artistes travaillant dans différents contextes, sociétés, réalités politiques et géographies pourraient proposer, indépendamment, des approches parallèles de la création artistique. ArtReview Asia s'est entretenu avec les artistes, par e-mail, pour déterminer si la nature du voyage change ou non la destination.

Matérialité

ArtReview Asie Comment vous êtes-vous rencontrés pour la première fois ? Les analogies entre vos deux œuvres étaient-elles évidentes dès le départ ?

Claude Viallat La première fois que j'ai rencontré le travail de Lee Ufan, c'était à la Biennale de Paris. Le groupe Mono-ha [dont Lee était membre] exposait au Parc Floral tandis qu'avec Daniel Dezeuze et Patrick Saytour [tous deux, aux côtés de Viallat et d'autres, étaient membres du groupe Supports/Surfaces], mon travail était exposé au Musée Galliera. Les premières œuvres que j'ai vues de Mono-ha m'ont tout de suite paru très significatives. Entre autres, une peinture répétitive sur le mur et une feuille de verre éclatée par un rocher posé dessus m'ont intrigué, et j'ai été particulièrement intéressé par une œuvre réalisée à partir d'un filet. Le filet était fixé sur les murs de tous les côtés, tandis que son centre était laissé lâche touchant le sol, formant une forme pyramidale inversée.

Vêtements Lee Il est important de noter que nos deux approches de l'art sont basées sur la matérialité externe et les actes physiques. Nous avons aussi en commun la répétition des mêmes motifs dans nos peintures pour représenter l'infini.

NOUS ACHETONSQu'est-ce qui vous attire dans le travail de l'autre ?

CV J'aime toujours le sentiment d'être dans un processus. Après nous être rencontrés plusieurs fois, invité au Japon par une galerie, j'ai rendu visite à Lee chez lui à Kamakura. Ce devait être en 1973 ou 74. A cette occasion, Lee me montra plusieurs œuvres composées de rochers sur des tôles d'acier, ainsi que des peintures portant des coups de pinceau très marqués et répétés. J'ai remarqué une vraie relation entre la matérialité de nos œuvres.

NOUS ACHETONSLee Ufan a dit un jour de la relation entre vos œuvres : « C'est sans doute la première fois dans l'histoire de l'art que, simultanément, dans des lieux géographiques différents, des tendances analogues sont nées.

CV Je suis absolument d'accord avec la déclaration de Lee; Je trouve aussi cette situation exceptionnelle. Nous venons de cultures complètement différentes et pourtant, dans des endroits différents, au même moment, nous nous sommes heurtés à un système, un système qui est un système convenu, banal mais très fort. Et chacun de nous utilise ce système comme un élément de communication, intégrant toutes les exigences et le potentiel d'analyse qu'il suggère et peut soutenir. Et cette tendance va même au-delà des Supports/Surfaces et du Mono-ha. Je retiens distinctement une anecdote que je trouve intéressante dans ce contexte, car elle illustre à la fois la citation de Lee et la nouveauté de notre démarche artistique.

En 1971, j'apporte les premières cordes à nœuds à mon galeriste Jean Fournier. Il a été très surpris, car c'était très inhabituel à l'époque. Il vida le sac sur un tabouret. Il prit également une corde et la disposa en une sorte de mise en scène sur une table basse. Se penchant en arrière, il visualisa l'arrangement sur la table et le tabouret avec les cordes, s'exclamant : "Comme il est beau ce tabouret !" Immédiatement après, il se corrigea : « J'ai dit quelque chose que je n'aurais pas dû dire. J'ai fait un bouquet de fleurs avec une corde plutôt que de le regarder pour ce qu'il est. Quelques semaines plus tard, juste avant de partir en vacances à la station balnéaire de La Rochelle avec ma famille, j'apportais à Fournier des œuvres réalisées avec des filets. En marchant sur la jetée de La Rochelle, j'ai choisi une des nombreuses cartes postales représentant un filet de pêche et l'ai envoyée à Fournier avec mes salutations.

La prochaine fois que je suis allé à la galerie, l'assistante de Jean Fournier m'a demandé si j'avais vu la dernière édition d'Artforum qu'ils m'avaient envoyée. Ce à quoi Fournier a répondu : "Oui, bien sûr que Claude l'a fait, il a envoyé la carte postale". J'avais en effet reçu l'édition d'Artforum avant mes vacances et remarqué un article sur Robert Rohm, un peintre américain travaillant avec des filets. J'étais très intrigué de voir un artiste américain travailler avec des filets en même temps que moi et aussi au moment même où je découvrais le filet à l'exposition Mono-ha. Il est également intéressant que ma carte postale, qui a été envoyée sans intention plus large de ma part, soit devenue une indication pour le galeriste que j'avais, d'une part, accepté le fait que je n'étais pas le seul à travailler avec des filets et, d'autre part, tenu à souligner, en choisissant l'image d'un filet de pêche, le fait que le filet est un élément quotidien très ancien.

LUPour ma part, je pense qu'à la fin des années 1960, l'art s'est éloigné de son moi intérieur et a embrassé l'extériorité des matériaux et des actions, ce qui est un point commun dans l'histoire du monde.

Neutralité

NOUS ACHETONSSelon vous, quelles étaient ces « tendances analogues » et comment, séparément, y êtes-vous parvenues ?

LU Je verrais cette tendance comme le résultat de la fin de l'ère centrée sur le logos ; et la recherche de nouvelles expressions, telles que la présence de matériaux, la neutralité des actions ou la répétition et la multiplication des mêmes motifs.

CV Revenant à l'expression de Lee et à la mienne dans le cadre de ces tendances, je vois la répétitivité du travail pictural de Lee et la manière très stricte dont il joue avec la forme à la surface du tableau. Mais la tension qu'il apporte à son travail par sa façon d'appliquer la couleur n'est pas du tout semblable à la mienne. J'ai une manière de peindre très détachée, désinvolte, alors que je vois la préparation, la concentration et la maîtrise du rapport entre la forme et le format chez Lee. Cela me semble extrêmement important. Pour moi, il n'y a pas de relation entre la forme et le format ; au contraire, toute relation qui se produit en surface me convient.

Aussi, mon travail avec la corde nouée et la déconstruction du tableau s'appuie sur la corde nouée comme élément primordial de ma confrontation avec le tissu. Le travail avec la corde nouée se rapporte au filet, se rapporte au tissage, au nœud marin. Le nœud est un élément ancien et universel. En opérant une sorte d'hypertrophie, le fil noué est la corde nouée avec toute la symbolique qu'elle porte et tous les usages qu'elle permet. En même temps il y a une analogie très importante pour moi entre la maille du filet, l'espace vide créé par la maille ou un nœud écrasé, et la forme que j'utilise en peinture. La coupe des fibres, ainsi que le nœud de la fibre en soi, est un système universel de répétition, et une mémoire primordiale.

NOUS ACHETONSPensez-vous que les différentes façons d'atteindre le résultat final rendent les résultats finaux différents, aussi analogues soient-ils ?

LUMême avec des idées similaires, l'utilisation de matériaux, de méthodes ou d'attitudes différents conduit à des résultats différents.

CV Une différence entre nous, comme je le vois, réside dans le symbolisme qui est apparent dans le travail de Lee. Je peux voir une approche intellectuelle dans son travail et son moi intérieur exprimé dans son art qui me semble très important. Moi, par contre, je suis impulsive dans mon travail et, je dirais presque, chez moi, l'impulsion est tout. Malgré cette différence marquée dans nos approches, je crois que nos intentions sont très similaires.

Je pense que la quête de Lee intègre tous les éléments premiers, la mémoire première, et c'est cette quête des origines qui permet à un artiste d'aller le plus loin possible. Et l'un des actes les plus simples et les plus symboliques est de jeter une pierre sur une feuille de verre et de la briser complètement. C'est un acte qui ne peut pas être défait, qui ne peut être fait qu'une seule fois de cette manière spécifique, donnant ce résultat spécifique. Cet acte fort et matériel ne permet aucune reconstitution. C'est certainement cette force élémentaire, une force élémentaire chargée de symbolisme, qui m'intéresse. Pour moi, c'est essentiel dans l'œuvre d'Ufan. Ceci et la transcription et le parallélisme qu'il crée avec le pinceau imbibé de couleur et posé d'une certaine manière sur une surface limitée, prenant en même temps en compte tous les éléments de marquage par la peinture. Je trouve cela très proche de mon propre travail.

Répétition

NOUS ACHETONSPouvez-vous expliquer le rôle de la répétition dans chacune de vos pratiques ?

LU La répétition n'est jamais mécanique. La répétition devient possible en la rendant meilleure, plus nouvelle et sans cesse différente. C'est pourquoi la grande répétition est toujours fraîche. De même, notre vie quotidienne n'est pas ennuyeuse à cause des différences subtiles.

CV La répétition est le système le plus ancien, le plus banal, le plus universel, le plus simple et le plus direct, jusque dans nos gestes quotidiens. Tout notre être est marqué par la répétition, et pour moi il n'existe pas de système plus universel et plus synthétique. Ce qui m'intéresse aussi, c'est que la répétition, quelle qu'en soit la forme, se déroule comme il se doit. Ceci sans laisser de place au goût, à la fantaisie ou à la subtilité. Elle est à la fois mécanique et évidente.

NOUS ACHETONSPensez-vous d'une certaine manière que vos deux œuvres ont eu pour but de faire tomber les frontières entre « le monde » et « le monde de l'art » ?

CV Je pense que ce serait prétentieux de le dire. Je suis plutôt dans mon monde de la peinture que dans le monde de l'art. Le côté business du monde de l'art par exemple ne me concerne pas du tout. Je travaille parce que je veux travailler et mon travail est ce qui m'intéresse.

LU Une œuvre d'art est quelque chose qui est fait à un niveau extraordinaire, et qui vérifie l'ordinaire. Parfois, cela brise certaines frontières, mais cela nous fait plutôt voir ce côté-ci et ce côté-là.

Absolus & Ambiguïtés

NOUS ACHETONS Des philosophes tels que Byung-Chul Han ont suggéré que la base de la philosophie occidentale et la pensée de l'Orient sont fondamentalement différentes : une étreinte de la présence à l'Ouest et de l'absence à l'Est. Est-ce quelque chose avec lequel vous êtes tous les deux d'accord ?

LU La comparaison de l'Orient et de l'Occident génère de nombreuses versions. C'est aussi une attitude à voir l'Orient et l'Occident en termes de présence et d'absence. Je crois que la métaphysique ontologique a été remplacée par l'égocentrisme et que la phénoménologie relationnelle est apparue comme le non-être. En ce sens, il n'y a pas d'absolu mais toujours de l'ambiguïté en Orient.

CV La culture de Lee et sa philosophie sont certainement très différentes de la mienne. Cela dit, et sans plus commenter votre référence philosophique et la position de Lee, je peux dire pour ma part que je suis transporté par la sensualité des choses ainsi que par l'aspect universel et l'expansion, le potentiel de l'œuvre. Je traite ces aspects à ma manière, en m'appuyant sur mes connaissances et mon expérience. Ainsi, plutôt qu'une charge symbolique, je recherche le potentiel, les ouvertures qu'offrent mon art et sa fabrication. Ma peinture n'est pas symbolique.

Il y a aussi la question de la religion. Je ressens une dimension religieuse dans l'art de Lee ce qui n'est pas vraiment le cas pour le mien. Même s'il est vrai que mes origines protestantes jouent un rôle, il me semble que c'est plutôt un côté anarchique de la foi protestante qui coule dans mon processus de création. On pourrait presque dire que je le fais de manière extravagante, peut-être même sans conséquence. A moins que cela puisse lui-même être défini comme conséquent !

NOUS ACHETONS Vos deux corps de travail ont été définis, à un moment donné, comme une bataille contre la « convention ». Est-ce toujours le cas aujourd'hui, alors que vous êtes entré dans l'histoire de l'art conventionnel ? (Ce qui, en soi, est quelque chose hors de votre contrôle.) Cela change-t-il votre façon de travailler de quelque manière que ce soit ?

CV Il est clair que l'œuvre, une fois existante, devient conventionnelle. Partant de là, tout travail joue avec la notion de conventionnel pour devenir non conventionnel. Mon travail d'artiste consiste à repousser les limites de ce qui peut être fait, en essayant à chaque fois de réinventer ou d'aller au-delà de notre moment présent. Bien sûr, cela définit ma propre attitude et je ne voudrais pas commenter les autres.

LU Une œuvre d'art est une chose vivante, donc elle est dans le temps. J'ai commencé comme artiste à la fin des années 1960. C'était quand une époque s'effondrait et qu'une nouvelle dimension était explorée. Alors je me suis rebellé contre les valeurs conventionnelles et j'ai recommencé. Aujourd'hui, une nouvelle ère n'est pas encore établie.

CV Je pense être honnête en disant qu'être reconnu comme artiste ne compte pas pour moi. Cela ne me touche tout simplement pas.

NOUS ACHETONSCompte tenu de votre amitié de longue date, pourquoi avez-vous mis si longtemps à exposer ensemble ?

CV Nous nous connaissons mais chacun de nous vit dans sa sphère spécifique. Pour ma part, j'habite à Nîmes et ne me déplace que si nécessaire. Ce n'est qu'il y a un an, en avril 2022, lorsque Lee et moi nous sommes retrouvés à l'occasion de l'ouverture de l'Hôtel Vernon [abritant une exposition permanente de l'œuvre de Lee] à Arles, que le concept d'une exposition commune a commencé à prendre forme.

LU En effet, amitié et expositions communes ne sont pas liées. Nous voulions juste faire une exposition commune parce que nous sommes vieux.

Lee Ufan et Claude Viallat : Encounter est exposé à la Pace Gallery de Londres jusqu'au 29 juillet

ArtReviewCaractéristiques

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Les deux artistes réfléchissent à la façon dont leurs réalités politiques distinctes, en Asie et en Europe, les ont conduits dans un voyage qui a vu leurs chemins converger de manière inattendue Matérialité ArtReview Asia Claude Viallat Lee Ufan ARA CV ARA CV LU Neutralité ARA LU CV ARA LU CV Répétition ARA LU CV ARA CV LU Absolutes & Ambiguities ARA LU CV ARA CV LU CV ARA CV LU Lee Ufan et Claude Viallat : Rencontre Pace Gallery Londres jusqu'au 29 juillet